Fragments d'une jeunesse en images
J’ai toujours côtoyé les stars. Pas comme ami, mais comme journaliste, comme photographe.
Pendant des décennies, mon objectif s’est posé sur des visages mondialement connus — d’abord en pleine lumière, puis, plus tard, à distance, parfois en me cachant. Oui, il m’est arrivé de me planquer pour les photographier. Mais ça, c’est venu bien plus tard.
Au début — il y a plus de 30 ans maintenant — c’était une autre époque. J’avais cette chance unique : celle de pouvoir suivre la carrière de mon père, lui aussi plongé dans ce milieu. Grâce à lui, j’ai eu un accès privilégié aux coulisses de la célébrité. Ensemble, on sillonnait les pays, invités par les attachés de presse pour couvrir des événements ou pour passer du temps chez les stars, directement chez elles.
C’était l’époque des téléphones fixes, des appareils photo argentiques et des flashs lourds comme des haltères. Pour enregistrer les interviews, on utilisait ces petits dictaphones à mini-cassettes, qu’on glissait dans une poche mais qu’on sortait avec précaution, comme un bijou.
Une autre époque. Un autre rythme. Un autre rapport avec les stars. Plus humain, plus intime… plus vrai.
Mon tout premier boulot ? C’était avec Mickey Rourke. En 1992. J’avais 18 ans.

J’étais parti à Los Angeles rejoindre mon père pour les vacances. Son bureau était à Downtown. Un décor presque surréaliste : des rues quasi désertes, des buildings comme figés dans le temps, et cette ambiance un peu chaude, un peu trouble — typique de certains quartiers de L.A. dans les années 90.
À l’intérieur, chez Mickey, c’était un bric-à-brac fascinant. Des gants de boxe accrochés à un mur, des souvenirs de tournages posés ici et là : un vieux pistolet, un chapeau élimé, des bottes de cow-boy… Un petit musée personnel de sa propre légende.
J’étais accompagné de Jocelyne, une maquilleuse française avec qui je débutais aussi. Et malgré mon jeune âge et mon manque d’expérience, Mickey s’est montré incroyablement cool. Aucun mépris, aucune barrière. Juste une forme de respect instinctif — comme s’il comprenait que chacun mérite une chance pour démarrer.
Je crois qu’au fond, il avait gardé ça en lui : cette conscience des débuts, cette solidarité discrète envers ceux qui, comme moi à l’époque, tentaient de se frayer un chemin dans ce drôle de métier.
Je me souviens d’un moment en particulier : une séance photo avec Bill Wyman, l’ex-bassiste des Rolling Stones, dans un pub londonien. Il venait tout juste de quitter le groupe, et on sentait qu’il avait besoin de se raconter, de réexister ailleurs que dans l’ombre des Stones.
Moi, toujours un peu nerveux, j’ai réussi à renverser sa pinte de bière en plein shoot. Grosse gaffe. Mais lui ? Impassible. Il s’en fichait. Il était cool, presque amusé. C’était une autre époque : les stars avaient encore besoin des journalistes, des magazines, des journaux papier. Ils jouaient le jeu, parfois à contrecœur, mais ils savaient que c’était l’un des seuls moyens d’être vus, compris, aimés.
Je me rappelle aussi d’une rencontre avec Sting, quelques mois plus tard. L’ambiance était feutrée, tout se passait bien… jusqu’à ce que mon père, sans faire exprès, marche sur le chien de Sting. Le pauvre animal s’est mis à aboyer sans interruption — et bien sûr, tout notre enregistrement sur la mini-cassette était devenu inaudible. On entendait plus le chien que Sting lui-même.
Malgré tout ça, on continuait. On s’adaptait, on improvisait, on riait beaucoup aussi.
Je voyageais entre Los Angeles, Londres et même Rome, au rythme des invitations, des interviews et des hasards heureux. C’était une vie de mouvement, de valises prêtes à partir, de flashs dans les yeux, de rencontres imprévues… Et je sentais que, doucement mais sûrement, ce monde-là devenait aussi un peu le mien.
Rome, au fond, c’était assez rare.
Le vrai terrain de jeu des stars, c’était Los Angeles, ou New York. C’est là que tout se passait, que tout se décidait. C’est là aussi que j’ai passé l’essentiel de mes jeunes années de journaliste photographe.
Avant même l’an 2000, j’avais déjà couvert de nombreuses avant-premières, festivals, événements — en pleine vingtaine, bien lancé dans Unimedia, l’agence de presse de mon père. J’apprenais vite. Je n’avais pas le temps de douter.
Grâce à ces accès privilégiés, j’ai eu la chance d’entrer dans les maisons, dans les vies de figures mythiques. Eddie Fisher, par exemple — immense chanteur et acteur américain, et père de Carrie Fisher (oui, Star Wars, bien sûr !).
Ou encore George Kennedy, inoubliable dans Naked Gun, toujours affable, un vrai gentleman. Christopher Lee, avec sa voix grave et son regard perçant — celui qui avait incarné le plus grand nombre de Draculas au cinéma, une légende du genre gothique.
Et puis, il y a eu Rod Steiger.
Rod Steiger, c’était autre chose. Un acteur d'une intensité rare. Il avait joué aux côtés des plus grands — Marlon Brando, notamment. Il avait remporté l’Oscar du meilleur acteur pour In the Heat of the Night en 1967. Un monument du cinéma, surtout celui des années noir et blanc… dont je connaissais finalement bien peu à l’époque.
Je me souviens : il m’a parlé franchement, presque à cœur ouvert. Il m’a confié qu’il avait traversé une dépression de dix ans, sans s’en rendre compte. Il prenait désormais des médicaments, disait-il, avec une forme de lucidité douce et fatiguée.
À 20 ans, j’étais là, assis face à lui, ne sachant plus trop où me mettre. Impressionné, touché, mais aussi un peu gêné — parce que j’ignorais une bonne partie de sa carrière. Tous ces films en noir et blanc… Je n’en avais vu que quelques extraits à la télévision.
Rod est décédé quelques années plus tard, en 2002. Il avait 77 ans.
Je n’ai jamais oublié cet entretien. Pas pour la gloire ou l’image, mais pour ce moment brut, humain, inattendu.
Il y a des rencontres qui marquent, surtout quand on est jeune et naïf. Pour moi, l’une de ces rencontres, ce fut Ian Ziering.
À l’époque, c’était les années Baywatch, Beverly Hills 90210… l’âge d’or des séries télé qui faisaient rêver la jeunesse du monde entier. Moi, j’étais en vacances d’été à Los Angeles, les pieds dans mes Vans, une planche de skate sous le bras, à traîner du côté de Venice Beach. J’étais loin d’imaginer que cette journée-là resterait gravée dans ma mémoire.
Mon père m’envoie faire une courte interview avec Ian Ziering. À ce moment-là, pas de téléphone portable, pas de messages pour se retrouver. On avait simplement convenu d’un lieu et d’une heure : le parking d’un supermarché.
Je l’attends, un peu nerveux, mon anglais encore hésitant. Soudain, un énorme 4x4 arrive à toute vitesse, freine net devant moi. Un type en sort, me regarde droit dans les yeux et lance :
— "Vous cherchez quelqu’un ?"
Surpris, je bafouille :
— "Je suis journaliste, j’ai un rendez-vous ici…"
Il se marre. C’était lui. Ian Ziering.
Mais avec des fausses dents pourries, les yeux en croix, grimé comme un ado qui veut passer incognito. Je ne l’avais pas reconnu. Il riait déjà. Et moi aussi, un peu gêné mais amusé.
Ce qui devait être une courte rencontre a duré jusqu’au soir. On a roulé, parlé, rigolé. Il m’a emmené dans les collines de L.A., loin du showbiz et de l’agitation.
Ce que je retiens ? Sa générosité, son énergie débordante, et surtout cette absence totale de prétention. Il avait pourtant déjà une belle notoriété derrière lui. Mais ce jour-là, on n’était plus "le jeune journaliste français" et "la star de série télé".
On était juste deux gars qui se sont bien entendus. Comme si l’amitié, parfois, ne demandait rien de plus qu’un peu de temps et un 4x4 plein de blagues.
Je n’ai jamais oublié cette journée.
Les Américains ne sont pas comme les Européens.
On dit souvent qu’ils sont faux, trop souriants, trop enthousiastes. Mais moi, honnêtement, je préfère ça. Je préfère quelqu’un qui fait semblant d’être gentil, plutôt que quelqu’un qui ne fait aucun effort pour l’être.
En Europe, c’est une autre ambiance. Froide, distante, souvent pleine de soupçon.
En Italie, par exemple, j’ai rencontré quelques stars à photographier ou interviewer. Mais je vous rappelle qu’à cette époque, tout se faisait en argentique — et dans mon cas, en diapositive. Une seule erreur d’exposition, un léger flou, et la photo était bonne pour la poubelle.
Je me souviens notamment d’un shooting avec Laura Lattuada. Elle n’était pas encore très connue, mais suffisamment pour me mettre dans un embarras total. Dès notre première rencontre, elle me regarde de haut en bas et me lance :
— "Mais t’es pas trop jeune pour faire ce métier ?"
Je tente de garder contenance :
— "Il faut bien commencer un jour. Moi, j’ai commencé il y a déjà trois ans."
Elle reste méfiante. Tellement qu’elle me demande de revenir le lendemain avec les photos développées, pour qu’elle puisse les voir avant de donner son accord.
Le jour suivant, j’arrive, un peu stressé. Elle m’attend, cigarette à la main, posée, intransigeante. On s’installe, elle regarde chaque cliché, un à un, et commente à voix haute :
— "Ah non, celle-là, horrible."
— "Celle-ci ? Pas possible, efface ça de ma vie."
Au final, elle en garde une vingtaine. Puis, avec une assurance presque théâtrale, elle prend les autres tirages... et les brûle un par un avec sa cigarette.
Était-ce nécessaire ?
Sur le moment, j’ai été anéanti. Je me suis même dit : "Je le mérite."
Mais avec le recul, non. Personne ne mérite ce genre de scène.
Je faisais souvent des allers-retours entre Los Angeles, Londres et Rome, mais Londres est toujours restée spéciale pour moi.
Et après l’an 2000 — le fameux Y2K — j’ai même décidé de m’installer à Londres, où j’ai vécu plus de sept ans.
Mais ça… c’est une autre histoire.
Merci d’avoir lu ce morceau de mon parcours. Ces souvenirs, ces images, ces rencontres font partie de mes débuts, d’une époque révolue, d’un métier qui a bien changé… mais qui continue, encore aujourd’hui, à me passionner.
Peut-être qu’un jour, j’en ferai un livre. En attendant, ces quelques lignes sont ma mémoire en fragments, à travers l’objectif.
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